- Obtenir le lien
- X
- Autres applications
- Obtenir le lien
- X
- Autres applications
Fahrenheit — L’Hiver de tous les QTE
« I used to be just like you. I believed in humanity, the newspapers, soap commercials, politics and history books. One day the world kicks you in the teeth and you don't have any choice but to see things the way they really are. My name is Lucas Kane. »
I. Les glaçons saignent aussi : naissance d’un meurtre par télépathie
Il neige sur New York, mais ce n’est pas la poudreuse poétique des cartes postales ; c’est un foutu linceul. Un manteau de chagrin sur les trottoirs, une sueur blanche sur les toits. Et dans un diner lugubre, éclairé comme un anus en IRM, Lucas Kane se lève de son siège, entre en transe, poignarde un inconnu dans les chiottes et reprend conscience avec du sang plein les mains et du mythe maya dans les narines.
Fahrenheit, c’est ça. Une plongée dans l’incontrôlable, un polar vidéoludique, où le héros commet un crime sans le vouloir, car contrôlé à distance par un chaman spectral probablement recruté chez France Loisirs. Un jeu où tu es le meurtrier, l’enquêteur et le mec qui paye l’addition. Un jeu qui commence comme Seven, se cambriole en Matrix, se parfume à X-Files et finit comme Dragon Ball Z, saison Alzheimer.
II. Les trois entités de Cage : schizophrénie jouable
Lucas Kane : avatar de la dépression, pull noir, regard humide, passion pour les hallucinations digitales et le yoga spectral. Il incarne cette génération de mecs qui pleurent dans leur salle de bain en écoutant Radiohead, sauf que lui, il se bat contre des intelligences artificielles millénaires et saute par la fenêtre en slow-motion.
Carla Valenti : inspectrice sous Xanax, blouson en cuir, névroses en bandoulière. Elle fouille des archives obscures, enquête à la lampe-torche dans un hôpital psychiatrique infesté de caméos de The Ring, et transpire du front à chaque choix moral. Une flic que tu peux faire paniquer si tu restes trop longtemps dans le noir. Plus fragile qu’elle en a l’air, plus forte qu’elle ne le sait.
Tyler Miles : acolyte noir, cool et groovy, passion roller et funk. Son rôle dans l’intrigue est flou, mais sa présence est essentielle. Il ramène le sourire au milieu de l’apocalypse, comme un coussin péteur sur un cercueil. Il est peut-être cliché, mais au moins il est vivant.
Trois personnages, trois rythmes, trois voix dans la tempête. Jouer à Fahrenheit, c’est entrer dans un triptyque halluciné, où chaque protagoniste semble issu d’un film différent, mais tourné avec le même filtre sépia.
III. Géographie de la psychose : New York, capitale de la démence
On visite tout. Le restaurant du crime, le métro infesté de regards en coin, les asiles où l’on communique avec des esprits millénaires, les toits glacés d’immeubles oubliés, les appartements où la solitude suinte par les prises électriques. C’est un monde clos, mais suffisant. Une ville conçue pour l’angoisse.
On se retrouve à chercher des indices dans un commissariat aux allures de morgue, à résoudre des énigmes absurdes dans une bibliothèque sans lumière, à discuter avec son frère prêtre qui parle comme un épisode de New York Police Judaïque. Et dans les égouts, bien sûr. Parce qu’un jeu sans égout, c’est comme un film de Nolan sans twist : une perte de temps.
IV. Manette molle, cœur battant : l’avènement des QTE
David Cage a compris un truc fondamental : il ne sait pas faire de gameplay. Il le reconnaît à demi-mots, comme un mauvais coup au lit qui te dit "j’ai bu trop de vin". Alors, il simplifie. Et ça marche.
On dirige les personnages avec deux sticks, on ouvre les tiroirs avec des gestes de joystick, on fait du café avec des mini-jeux, on baise notre ex avec des QTE. Oui, les scènes d’action ressemblent parfois à un karaoké de touches fluo, mais ça fonctionne. Parce qu’on est pris dans le flot. Parce que tout est surjoué. Parce que tout est trop.
Les QTE ne sont pas encore bien huilés. Ils coupent parfois le rythme, gâchent un dialogue ou tuent la tension d’un combat. Mais on sent déjà l’obsession de Cage pour l’interaction minimale, la scène jouable, le cinéma tactile. Le futur est en gestation. En attendant, on se masturbe sur un prototype.
V. L’orgasme vient trop tôt : fin de course et kamehamehas
Fahrenheit monte, monte… puis chute. Comme un orgasme précoce après trois heures de caresses langoureuses. Le jeu te tient par la main, t’enlace, te raconte des secrets… et soudain, il te fout un uppercut de science-fiction mystique dans le plexus.
Lucas vole, se bat contre des oracles numériques, devient un Christ pixelisé, ressuscite dans un monde qui ne comprend plus rien à sa propre mythologie. Il affronte une IA millénaire et une secte de vieux en toge qui veulent contrôler l’enfant Indigo, fruit d’un orgasme scénaristique entre Ghostbusters et K2000.
Trois fins possibles, façon Deus Ex, mais qui ne changent rien, si ce n’est la teinte de ton générique. Une volonté de choix, mais sans conséquence. Comme un referendum sur la sauce de ton kebab.
VI. Fahrenheit, mon amour toxique
Objectivement, c’est un foutoir.
Mais subjectivement, c’est
de la poésie cybernétique.
C’est un jeu qui ne sait pas se
taire, mais qui a des choses à dire.
C’est le cadavre exquis
d’un auteur qui veut trop en faire, mais qui y croit tellement fort
qu’on le suit quand même.
Fahrenheit, c’est ce vieux manteau qui pue le moisi mais dans lequel on dort encore parfois. Ce film qu’on revoit tous les ans, même si on connaît toutes les répliques. Ce jeu qui a mal vieilli mais qui transpire la sincérité, la tentative d’art dans un monde de mécaniques.
VII. Conseil d’ami : VO ou rien
La VF est mauvaise. Mauvaise comme une imitation de flic par un animateur de fête foraine. Joue-le en anglais. Cage se prend pour un Américain ? Parfait, traitons-le comme tel. La VO renforce l’ambiance glacée, urbaine, étrange. Elle donne à ce trip halluciné la voix qu’il mérite.
Et le remaster ? Je ne l’ai pas touché. Peut-être qu’il est propre, lisse, poli. Mais Fahrenheit ne doit pas être propre. Il doit être rugueux. Un souvenir sale, un baiser mal rasé. Un cri dans la neige.
Verdict : 9/10
Un polar mystico-glacial
où les QTE s’entrelacent à la paranoïa comme des doigts gelés
sur une gâchette tremblante.
Un jeu qui trébuche, s’effondre,
renaît, et finit par t’embrasser sur la bouche, malgré ses dents
cassées.
Un chef-d'œuvre inabouti, une épave magnifique.
« What brings you to me, young man ? Tell me, what is your cage like ? »
- Obtenir le lien
- X
- Autres applications

Commentaires
Enregistrer un commentaire